A l’Automne 2012, l’affaire Karabatic défrayait la chronique et mettait en avant l’existence de paris truqués réalisés par des proches de grands acteurs du sport, du handball en l’occurrence. Aussi, cette affaire a été traitée initialement comme s’il s’agissait d’un fait exceptionnel et qui ne méritait assurément pas d’être généralisé.
Pourtant, il y a trois semaines, une nouvelle affaire de paris truqués a beaucoup fait parler d’elle et cette fois, celle-ci n’est pas l’objet d’un pari de quelques personnes sur une rencontre mais bien de réseaux proches des milieux mafieux qui ont opéré sur près de 700 rencontres de football. Decryptage d’un phénomène qui n’en est pourtant probablement qu’à ses balbutiements…
Vieux comme le monde, les paris sportifs ne sont pas une grande nouveauté dans notre société. En effet, dès l’Antiquité, les Grecs misaient de l’argent sur les résultats des Jeux Olympiques. Mais c’est à compter du 19ième siècle que les paris, surtout grâce à l’hippisme, ont pu réellement se développer. Puis, au 20ième siècle, les paris sportifs se sont ouverts à un nombre toujours plus grand de disciplines, le football faisant un vrai tabac chez les bookmakers britanniques. Le pari est imprégné dans leur culture.
Et, depuis ces dernières années, les opérateurs de paris sont nombreux sur le marché et tentent de se faire une place parmi la concurrence en proposant aux joueurs de parier sur n’importe quelle donnée statistique liée aux matchs. Et oui, désormais, il est toujours possible de parier sur le vainqueur de la rencontre mais il est également possible de miser sur le nombre de cartons jaunes, de cartons rouges, de corners, de buts et même parfois des statistiques beaucoup plus saugrenues.
Pour autant, comment expliquer que les paris truqués dans le domaine du sport fassent aujourd’hui la "Une" des journaux alors même que ce phénomène aurait pu naître bien plus tôt ? La principale réponse à cette question tient assurément au fait que, depuis toujours, les milieux où l’argent facile circule sont également ceux qui sont les plus sensibles à la corruption.
Néanmoins, cette réponse n’est pas complète et ne justifie certainement pas les récents scandales qui ont touché le handball et le football. En effet, la variété, sans cesse plus importante, de types de paris offerts par les opérateurs ont également facilité la création de réseaux permettant de gagner gros puisque les autorités ont beaucoup plus de difficultés à contrôler et analyser les paris effectués.
L'apparition des paris en direct (Live Betting) ont également complexifié la tâche des autorités en charge de la surveillance des paris...
A titre d’exemple, lors de la saison 2008/2009, quatre hommes avaient monté une énorme arnaque aux paris truqués en finançant quelques joueurs et arbitres de six championnats de football. Ces derniers avaient pour mission d’influencer le résultat des rencontres afin que les quatre hommes remportent leurs paris. Au final, moyennant un investissement d’un peu moins de 400.000€, les individus incriminés dans la désormais « Affaire Bochum » avaient encaissé la coquette somme de 1,6 millions d’euros.
Néanmoins, la possibilité de ne parier que sur le résultat des rencontres avait sans doute évité que cette fraude aux paris truqués ne prenne la forme d’un véritable réseau mafieux comptant de nombreux individus en son sein. Elle avait également permis à la police allemande de remonter rapidement la filière.
Voilà donc toute la différence avec l’énorme réseau de paris truqués qu’Europol a démantelé il y a quelques semaines seulement et qui concerne plus de 400 personnes mais également près de 700 rencontres de football. Et oui, le développement d’offres de plus en plus attractives mais également la possibilité de parier sur tout et n’importe quoi lors d’un match de football, a aiguisé l’appétit de quelques réseaux qui ont fait de la corruption un vrai business.
Derrière cette phrase, sont surtout ciblées quelques-unes des mafias les plus installées de notre planète à savoir la mafia moscovite et la mafia singapourienne qui ont, d’une part, trouvé là un moyen idéal d’optimiser leurs profits et, d’autre part, de blanchir de l’argent sans risque et à moindre coût. Plutôt astucieux donc, mais qui pourrait bien imaginer que les têtes pensantes de ces mafias n’avaient pas tout prévu en amont ?
L’organisation-type de ces réseaux de paris truqués est d’ailleurs très simple et repose uniquement sur le financement de quelques acteurs du football prêts à influencer quelques données statistiques sur les rencontres auxquelles ils participent afin de permettre à leurs mandataires de gagner leurs paris. Et, avouons-le, certaines statistiques ne sont pas aisées à modifier par un seul individu…
On pense notamment à un résultat puisqu'il est difficile à un joueur seul de faire remporter une rencontre à son équipe. Mais d’autres sont bien plus simples à influencer comme celles qui touchent à des statistiques individuelles. Obtenir un carton jaune en fin de rencontre est, par exemple, à la portée de tout joueur corrompu. C’est en ce sens qu’autoriser les parieurs à miser sur certaines statistiques (individuelles principalement) peut remettre en cause l’intégrité des compétitions sportives.
Car, une fois que l’organisation mafieuse a mis en place son plan d’action, il ne lui reste alors plus qu’à s’adresser à un de ses nombreux émissaires, majoritairement situés dans les Balkans, pour aller proposer des « pots-de-vin » aux joueurs achetés… ou bien même aux arbitres, car l’homme qui fait la loi sur le terrain n’est pas toujours le plus honnête, si on en croit les diverses affaires de paris truqués démantelées au jour d’aujourd’hui. Voilà donc en tout cas le mode opératoire favori qu’utilisent les mafias pour créer des réseaux de paris truqués.
C’est du moins celui choisi par le réseau qu’a démantelé tout récemment Europol et, avec ce modèle, le réseau aurait empoché 8 millions d’euros de profits pour 16 millions d’euros de mises. Bien entendu, pour parvenir à réaliser cette « affaire du siècle », comme l’ont nommé certains médias, tout a été mûrement réfléchi puisque près de 400 personnes (arbitres, joueurs et intermédiaires) sont impliquées et que les paris pourraient reposer sur près de 700 matchs.
La majorité du temps, ces derniers s'appuyaient sur des paris spécifiques afin d’éviter d’être repérés par les opérateurs, mais également et surtout par les autorités en charge de contrôler les paris sportifs.
Pour cela, les mafias ont profité de la possibilité d’opérer d’un peu partout sur la planète et de créer en parallèle des circuits d’action (prises de paris) et des circuits financiers (mouvements d'argent de compte à compte) menant dans des pays quasi-inconnus (souvent des paradis fiscaux) dans certains cas.
Leur action a également été renforcée par la possibilité d’intervenir sur des sites illégaux depuis l’étranger, certains Etats ne semblant pas prêts à réglementer leur secteur des jeux d’argent en ligne, quitte à laisser s’installer la corruption…
Après avoir analysé en détails le récent réseau de paris truqués démantelé par Europol, le verdict est qu'il est indispensable que des solutions soient rapidement trouvées afin que des affaires similaires ne puissent plus faire la "Une" des journaux. En effet, la FIFA, l’UEFA et plus généralement les instances sportives mondiales semblent inquiètes par le tournant pris par les paris truqués ces derniers mois.
Tous les acteurs du sport devraient d’ailleurs faire cause commune afin d’éradiquer cette menace que constituent les matchs truqués. Ils devraient également demander à ce que des mesures soient prises au niveau international afin de préserver davantage l’intégrité des compétitions sportives.
A ce titre, il ne serait donc pas surprenant que les instances sportives demandent aux différents opérateurs de réduire le nombre de paris spécifiques disponibles. Néanmoins, cette demande pourrait bien faire "chou blanc" puisque les opérateurs légaux devraient rester inflexibles... à moins bien sûr que des accords internationaux viennent encadrer les pratiques de tous les opérateurs et même ceux qui agissent sur des marchés non régulés à ce jour, ce qui semble impossible. Mais qui ne tente rien n'a rien !
De même, il semble indispensable qu’une police internationale ayant pour mission le contrôle des paris truqués soit mise en place. Car, comment des polices nationales, bien que collaborant étroitement sur ce type d'affaires, peuvent-elles aujourd’hui lutter contre un phénomène devenu mondial ?
C’est sans doute en corrigeant ces points, et à cette condition seulement, que les gains réalisés par le crime organisé et aujourd’hui estimés à près de 14 milliards d’euros disparaîtront et que l’intégrité des compétitions sportives sera totalement préservée.
Mais tout le monde, et en particulier les opérateurs de jeux, ont-ils un vrai intérêt à ce que les réseaux de paris truqués quittent la scène ? De même, peut-on imaginer que certains acteurs du football se situent bien loin de l’éthique qui devrait être la leur à la vue de leur profession ?
Car c’est seulement si tout le monde tire dans le même sens que l’affaire Bochum, le Calcioscommese, l’affaire Karabatic ou encore les réseaux mafieux spécialisés dans les paris truqués n’auront plus lieu d’être.
A noter que depuis la retentissante dernière affaire de paris en ligne truqués (les fameux 700 matchs), la Commission Européenne s'est penchée sur ce gros problème et assure pour 2013-2014 mettre un frein sans précédent grâce à une législation commune, en cours d'élaboration actuellement.
Les hautes autorités des pays qui ont régulé le marché des paris sportifs en Europe (l'Arjel concernant la France) collaborent désormais ensemble afin de croiser leurs fichiers et leurs doutes. Et enfin, les sites de paris en ligne également font office de "fusible" si des anomalies sont détectées. |